Pour Michelle Porte

Michelle Porte nous a quittés le 26 septembre 2024. Avec sa disparition, le cinéma perd une de ses réalisatrices les plus originales, passionnée par la création sous toutes ses formes, littéraire et artistique. 

Quant à moi, je perds une amie avec laquelle j’ai tant partagé. Pendant plus de vingt années, elle m’a accordé sa confiance dans mon travail sur l’œuvre de Marguerite Duras, elle qui avait la connaissance la plus fine et la plus intime de cette œuvre. 

J’ai fait la connaissance de Michelle Porte en 2000 lors des Journées Marguerite Duras organisées à Duras par l’Association Internationale Marguerite Duras, dont elle était un fidèle soutien. Elle m’a alors associée à de nombreuses reprises, en France et à l’étranger, à la présentation de ses films.  Dès 2011, elle m’a ouvert ses archives avec une grande générosité pour mon édition des Lieux de Marguerite Duras, dans le tome 3 des Œuvres complètes de Marguerite Duras dans la Bibliothèque de la Pléiade. Au cours du classement de ses archives que nous avons entrepris ensemble en 2017 afin qu’elles soient remises à la BnF pour constituer « le fonds Michelle Porte », elle a retrouvé une série de lettres que Marguerite Duras lui avait adressées entre 1969 et 1989. Nous les avons publiées en 2022 aux éditions Gallimard : ce fut l’occasion pour elle d’évoquer les souvenirs de leurs trente années d’amitié.   

Michelle Porte avait rencontré Marguerite Duras en 1966 sur le tournage de La Musica ; elle avait été ensuite son assistante pour plusieurs de ses films : Détruire, dit-elle, en 1969, Baxter, Vera Baxter en 1976. Mais c’est grâce à ses propres réalisations qu’elle est devenue une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent à l’œuvre de Marguerite Duras. 

Le film de Michelle Porte Les Lieux de Marguerite Duras, en 1976, suivi du livre publié aux Éditions de Minuit, a été pour Duras elle-même un jalon essentiel dans son parcours créatif : il a révélé à l’écrivaine l’importance des lieux dans son imaginaire avec l’intuition que l’espace est lié à la mémoire ; et il a mis en valeur le lien très fort qu’il y avait entre sa personne, sa voix en particulier et sa création.  

Dans Savannah Bay c’est toi , en 1983, Michelle Porte a filmé Marguerite Duras mettant en scène sa pièce Savannah Bay au Théâtre du Rond-Point. Elle a mis en lumière de façon saisissante la relation passionnelle que l’écrivaine avait avec ses comédiennes Madeleine Renaud et Bulle Ogier. 

En 2004, son film adapté de L’Après-midi de Monsieur Andesmas de Marguerite Duras, avec Michel Bouquet et Miou-Miou, a su recréer, par sa beauté picturale,  ces « moments de lumière absolue » que Duras avait saisis dans son roman.  

C’est donc son admiration pour Duras qui a conduit Michelle Porte à la rencontrer et à la filmer ; mais il est évident qu’entre ces deux créatrices, l’influence a été réciproque. Marguerite Duras a toujours accueilli avec enthousiasme les réalisations filmiques de Michelle Porte, dont l’unité thématique et symbolique rejoint ses propres choix esthétiques : elles témoignent de la dimension tragique de l’existence humaine, mais d’un tragique sans pathos, ouvert à la beauté du monde.  

Dans le milieu cinématographique, littéraire, artistique, Michelle Porte était unanimement respectée : c’était une « figure ». Jamais pourtant elle ne se plaçait dans une posture de « matriarche » ; elle manifestait en toute circonstance une jeunesse d’esprit, une curiosité et un humour qui l’éloignaient de tout conformisme, de tout passéisme : elle allait toujours de l’avant, tournée vers son prochain film, vers l’avenir. 

En même temps, elle était d’une fidélité à toute épreuve, comme en témoigne l’énergie qu’elle a déployée pour faire connaître et pérenniser l’œuvre de sa compagne, la sculptrice Marie-Pierre Thiébaut, après sa disparition.     

De Michelle Porte, je garderai le souvenir incomparable de sa voix, claire et chaleureuse, celle qu’elle avait dans ses entretiens filmiques comme dans la vie et qui avait le don de susciter chez tous ses interlocuteurs une parole authentique, personnelle. Elle a filmé des artistes - Jean Degottex, Jean-Pierre Raynaud, Claude de Soria, Marie-Pierre Thiébaut ; des comédiennes comme Madeleine Renaud ou Emmanuelle Riva ; des écrivains : Marguerite Duras, Edmond Jabès, Françoise Sagan, Annie Ernaux. Dans tous les entretiens qu’elle a eus avec ces créateurs, on a le sentiment d’assister au surgissement d’une parole qui puise aux sources mêmes de leur création. 

On peut dire que Michelle Porte avait, comme Socrate, le don  merveilleux d’accoucher les esprits… Elle manquera cruellement à tous ceux qui l’ont côtoyée et aimée.   

Joëlle Pagès-Pindon

Sur le lieu-dit Platier, commune de Pardaillan, canton Duras, la maison de la famille Donnadieu dans laquelle Marguerite, sa mère et ses deux frères Pierre et Paul vécurent après la mort du père, de 1922 à 1924 puis quelques mois en 1931.  En 1943 Marguerite Donnadieu adopte Marguerite Duras comme nom d'écrivain. La ruine de la maison est aujourd'hui préservée. En 1992, quatre ans avant sa mort, l'écrivaine confie ses souvenirs sur cette maison, son parc, la rivière Le Dropt, et la vie paysanne d'alors : Elle dira "l'écriture je sais d'où elle vient"  et c'est dans ce lieu de Platier, qu'elle déroulera LES IMPUDENTS, son premier roman.